Qu’est-ce qui a tué Moussa Balde ?

INTERVIEW

QU'EST-CE QUI A TUÉ MOUSSA BALDE ?

Moussa BALDE avait 23 ans. Ce jeune guinéen est mort dans la nuit du 22 au 23 mai 2021 en Italie, au centre de rétention de Turin où il a été emmené après avoir subi une agression d'une extrême violence, filmée par des témoins, le 9 mai 2021, dans les rues de Vintimille. Alors qu'un procès contre des responsables du centre de rétention est en cours, Thierno BALDE nous raconte son petit frère, le parcours migratoire qu'il a suivi et ce qu'il sait des événements qui ont conduit à sa mort.

Moussa Balde

Par Cases Rebelles

Novembre 2025

Moussa BALDE rêvait d'Europe. Il y est arrivé par l'Italie. Le 9 mai 2021, le rêve tourne court quand trois italiens le battent à mort à Vintimille. La vidéo de l'agression, publiée sur les réseaux sociaux, déclenchera à la fois l'effroi et une mobilisation exceptionnelle. La suite des événements est floue : d'abord transporté par la police à l'hôpital d'Imperia pour les premiers soins, Moussa est ensuite enfermé au CPR (équivalent italien du CRA) de Turin, où il se suicidera quinze jours plus tard, dans la nuit du 22 au 23 mai 2021.
De nombreuses zones d’ombre subsistent sur la manière dont Moussa a été traité après son agression ; déjà parce qu’il a disparu administrativement des radars après l'agression, au grand dam des associations qui s'organisent pour le retrouver. Ensuite, parce qu'il ne semble pas du tout avoir été soigné d'une manière qui convienne aux blessures causées par l’agression extrêmement violente qu’il a subie.
Si ses agresseurs ont été jugés en 2022 (et condamnés à des peines dérisoires), c’est aujourd'hui le procès des responsables du CPR qui est en cours. Pour y assister et témoigner, des membres de la famille de Moussa sont actuellement en Europe, et c’est à Paris début novembre 2025 que nous avons rencontré son frère Thierno Balde. Si elle se bat pour Moussa, la famille se bat aussi pour que ça n’arrive plus. Contre les politiques migratoires iniques et leur cortège de violences : contrôles, arrestations, enfermement, humiliations, agressions, disparitions et répression des soutiens.

Ce vendredi 14 novembre à Paris, République partira à 16h une manifestation en mémoire de Moussa Baldé et pour la justice, à l'appel des collectifs de sans-papiers d'Ile de France ! (Vous pouvez retrouver l'appel et l'affiche après l'interview)

La prochaine audience concernant la mort de Moussa aura lieu le 26 novembre 2025.

En Italie, le soutien ne faiblit pas. Ne soyons pas en reste de l’autre côté de la frontière : pour la vérité, la justice et la fin des centres de rétention.

Cet entretien est également disponible en audio [fr] :

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CASES REBELLES : Quelle personne était Moussa ?

THIERNO BALDE : Moussa BALDE c'est un jeune garçon qui appartient à une famille de disons huit personnes ; le papa, la maman, et six frères [et sœurs]. Lui, il était la quatrième personne. Après lui il y a deux filles.
Il était déjà très ambitieux. Il a fait son parcours secondaire dans une école franco-arabe, c'est-à-dire les cours mélangés en arabe et en français ; après il s'est orienté dans l'école professionnelle en faisant l'électricité-bâtiment. Après quelque temps, l'intégration, les problèmes de travail, de vie, comme ce que traversent pas mal de jeunes en Guinée, surtout en Afrique subsaharienne, il a jugé nécessaire de prendre le chemin de l'exil, en traversant le désert du Sahara, en passant par l'Algérie, la Libye, jusqu'à se retrouver en Italie. Donc c'était un jeune ambitieux, dynamique, mais surtout qui aime beaucoup sa famille.

Que savez-vous de son parcours vers l'Italie, ce qu'il a traversé, de ses conditions de vie en Italie ? Et comment se sentait-il en Italie ?

Moussa a quitté la Guinée en 2016 : il a traversé le désert en passant par le Mali, puis est entré en Algérie. Il est resté quelque temps en Algérie, où j'étais étudiant à l'époque. Après quelque temps passés avec moi là-bas, il était convenu qu'on retourne ensemble en Guinée : j'ai fait architecture, lui électricité-bâtiment, donc il avait de forces chances qu'on puisse avoir des projets en commun, mais c'était des projets sans trop de certitude, et lui ne voyait que l'Europe seulement. Je ne pouvais pas non plus prendre le vol [de retour] avec lui ; si vous êtes informé⋅es, ceux qui traversent le Sahara viennent sans papiers, du coup il n'avait pas de documents de voyage. Donc il était convenu avec lui que je rentre en Guinée, que je l'aide à obtenir des papiers de voyage en attendant à l'ambassade, pour qu'il puisse rentrer et me trouver là-bas. Mais l'ambition d'aller en Europe était plus grande que celle de retourner au pays, du coup une fois que j'ai quitté l'Algérie il a pris la tangente et s'est retrouvé directement en Libye.

Après quelque temps en Libye, on a appris qu'il a traversé et s'est retrouvé en Italie. Ses premières heures en Italie, il était dans un centre d'accueil, ça allait très bien, parce que... quand même il avait la joie, d'être en Italie. Il avait commencé à apprendre la langue, maîtriser la langue. Des fois quand il partait à faire les cours et revenait, il appelait sa maman — appel vidéo — il était joyeux d'être parmi les italiens, mais le problème d'obtention de papier a pris du temps, jusqu'à ce que cet espoir commence à se transformer. Du coup, il s'est demandé si ce n'était pas mieux de changer de pays et voir comment ça allait se passer ailleurs, et dans la période de 2021-2022 il a quitté l'Italie pour venir en France quelque temps ; mais en France aussi il a compris que chercher à entrer dans un centre d'accueil encore ça lui prendra des années parce qu'on lui disait que c'est par l'Italie qu'il fallait chercher à obtenir ses papiers, donc il est rentré en Italie. Arrivé là-bas, pratiquement on lui a fermé la porte du centre où il était, il ne pouvait plus y entrer. Il s'est retrouvé dans des situations difficiles et très précaires , et l'espoir s'est transformé en désespoir, avec une situation très difficile, très critique.

Ce qu'il faut retenir quand même : pendant qu'il était en Italie, il collaborait déjà avec des associations, collectifs qui œuvraient dans le bénévolat, l'assistanat des personnes âgées, il faisait ces travaux-là avec eux, donc il avait quand même un réseau d'amis, ça lui permettait quand même de subvenir à certains besoins et chercher à s'intégrer dans la société même si ces problèmes de violence d'État, ces structures ne permettent pas à un immigrant sans papier de vivre à l'aise.

C'est dans ces circonstances-là que un beau matin, devant tout le monde, à Imperia, trois italiens l'ont agressé, l'ont tabassé à mort. Après l'agression la police est intervenue ; au lieu de chercher à comprendre quelles sont les raisons de l'agression ou autre chose, on l'a juste pris pour l'envoyer faire des premiers soins, avant de laisser là-bas quelqu'un qui a été tabassé à mort, on le prend d'Imperia pour l'envoyer directement en centre de rétention à Turin et l'enfermer. Lui-même ne savait pas pourquoi il était là-bas. Les conditions n'étaient pas réunies pour qu'il soit intégré là-bas, et apparemment, les responsables du centre aux premiers moments n'étaient même pas informé⋅es qu'un guinéen du nom de Mamadou Moussa Balde est enfermé là. C'est dans ce contexte qu'un matin on nous appelle en Guinée pour nous dire que Moussa n'est plus.

Après votre départ l'un et l'autre d'Algérie, avez-vous pu rester en contact, avoir de ses nouvelles ?

C'était possible de rester en contact avec lui, mais c'était irrégulier. De temps à autre on s'informait, il disait que ça allait. Un adage dit que si tout est calme, c'est que tout va bien. Nous autres frères et sœurs il nous appelait quand il a des difficultés ; par contre, il était en contact de façon permanente avec sa maman. Chaque fois que je venais rendre visite à la maman elle me disait : "Quand Moussa était là...". Imaginez, lui-même s'est démené à l'époque : la maman n'avait pas un Android donc il utilisait le téléphone de ma grande sœur Aïssatou pour communiquer avec sa maman, mais Aïssatou travaillait et ça gênait Moussa d'appeler seulement de temps à autre, donc il a économisé sur l'argent qu'il recevait au centre pour acheter un téléphone Android pour sa maman.

Comment avez-vous appris l'agression de Moussa, puis son décès ?

Ce sont des amis de Moussa qui nous ont appelé⋅es ; et eux aussi l'ont su après le décès. Je crois qu'il y a un intervalle d'une ou deux semaines entre l'agression et le décès. C'est un de ses amis qui s'appelle Amadou, qui est en Italie — lorsque Moussa étaient dernièrement dans des situations difficiles on passait par ce dernier pour avoir des nouvelles — qui nous a appelé⋅es pour nous dire que Moussa n'est plus. C'est l'information qu'il nous a donnée en premier, mais dans quelle situation, dans quelles conditions il est mort, instantanément on ne savait pas. C'est après cette annonce-là qu'on a vu circuler sur internet la vidéo où il est victime d'agression par trois italiens. Donc ce moment-là pour nous, c'est là qu'il a trouvé la mort. On a cherché de l'assistance. Comme je vous disais, il était socialement bien intégré donc il a des personnes de bonne volonté qui se sont levées, qui ont interpellé un avocat, cet avocat a fait des investigations bien avant qu'il décède pour le retrouver à l'intérieur du CPR 1  — l'avocat que je remercie très bien, Me Gianluca Vitale. C'est après qu'on a appris que c'est à l'intérieur du centre qu'il s'est suicidé.

L'ancienne directrice Annalisa Spataro et Fulvio Pitanti l'ancien directeur médical du CPR ont témoigné au tribunal lors de la 2ere audience, le 22 septembre 2025. Votre famille y a également témoigné. La 3e audience s'est tenue le 20 octobre dernier. Pouvez-vous nous parler de ce procès ? Qu'y avez-vous appris ? Et comment la justice italienne vous a-t-elle traité⋅es, en tant que famille de la victime, et famille victime ?

Bon, pour ce qui est du traitement, on était bien traité⋅es, considéré⋅es, en tant que famille qui est victime de quelque chose que nous-mêmes ne comprenions pas, une injustice flagrante. Notre témoignage était surtout axé sur la façon dont on a obtenu l'information [du décès] et les liens fraternels et familiaux, de l'attache de Moussa à sa famille.
Maintenant, depuis le moment où l'ancienne directrice du CPR et le médecin, qui sont directement accusé·es d'homicide involontaire, ont témoigné, ce que nous avons constaté à cette audience c'est que, déjà, cela ne concerne pas seulement le cas de Moussa. Ces centres-là n'ont pas de raison d'être. Ils n'ont pas de raison d'être. Deuxièmement, le traitement qui se fait à l'intérieur de ces centres est vraiment inhumain. On leur confie une responsabilité, à supposer que ces centres doivent exister, tu prends un contrat mais tu dois gérer l'endroit dignement. Il ne faut pas gérer à la manière d'un débarras, comme si c'était des troupeaux qu'on jette à l'intérieur et toi tu vaques à tes occupations. C'est vraiment déplorable, et j'espère que franchement la justice italienne fera son travail.

Dans combien de temps pensez-vous que le verdict pourrait être rendu ?

Pour l'instant les audiences continuent, et actuellement ils sont en train de se rejeter la responsabilité : les accusés apportent des témoignages, des explications rejetant la responsabilité sur la préfecture, et vice versa. Donc un certain nombre de personnes sont appelées à témoigner au fur et à mesure, avant que le verdict soit rendu. Une prochaine audience est programmée pour le 26 de ce mois [novembre]. Probablement, d'après les explications de l'avocat, le verdict final peut être projeté à partir du premier trimestre 2026, février-mars, mais rien n'est officiel, rien n'est certain par rapport à ça.

Au procès des agresseurs de Moussa, le motif raciste de l'agression a été écarté par la police et la justice. Avez-vous assisté à ce procès ? Que pouvez-vous nous en dire ?

À l'époque c'était mon grand frère, Thierno Hamadou Balde, qui avait représenté la famille. Quand le décès est survenu, la première chose qui nous préoccupait c'était comment le corps allait être rapatrié. On n'était pas du tout pressé·es ; on a discuté avec les collectifs qui étaient présents, avec l'avocat, on a demandé à ce qu'on fasse une autopsie. Ça a pris environ trois semaines avant que le corps ne vienne en Guinée. Après l'enterrement, on s'est retrouvé⋅es en conseil de famille, on a désigné notre grand frère comme délégué spécial. C'est dans cette optique que lui a effectué le déplacement la première fois, pour venir constater les faits, de visu, et assister de visu des agresseurs.

Au moment du procès, quand tu regardes les faits : trois personnes, âgées de 35 ans je crois à 45 ans, des bras valides, face à un jeune homme qui n'avait même pas ses vingt ans, l'agresser et le tabasser à mort... Y a pas d'autre raison si ce n'est que ce n'est un acte raciste, mais au moment du procès c'est juste qu'il n'y aurait pas eu de preuves palpables qui montrent l'acte raciste ; ceux qui l'ont agressé se sont défendus, le dossier a été traité dans ce sens-là. Je crois qu'ils ont été condamnés à deux à huit mois de prison avec six mois ferme et une amende. Je ne sais pas s'ils ont purgé complètement leurs peines ou pas. On ne sait pas trop...

Pouvez-vous nous parler des funérailles que vous avez données à Moussa ? Où est-il enterré ?

Comme je vous l'ai dit c'est un jeune qui était très dynamique ; socialement il était irréprochable. Je ne vais pas dire qu'il était parfait parce que la perfection n'est pas humaine, mais il était irréprochable. Bien avant que son corps revienne, il y avait un afflux de jeunes du quartier, d'autres connaissances, qui ne tarissait pas, les gens venaient en permanence, à Conakry — puisque c'est là que nous habitions et qu'il a eu presque toute son enfance. Mais dès qu'on partait dans notre ville natale, Tougué, à Koumbama précisément, il était aussi sollicité là-bas. Donc bien avant que le corps arrive il y avait un débat : certains disaient qu'il fallait qu'on ramène le corps au village pour qu'il y soit enterré, ceux de la capitale disaient :"Non, le jeune a grandi ici, il faut qu'il soit enterré ici". Pendant les trois semaines d'attente, la famille a décidé de l'enterrer là où les gens le réclamaient le plus — à Conakry — mais après l'enterrement, une délégation s'est levée dans ce processus de funérailles, pour aller au village et faire des sacrifices là-bas. Donc l'enterrement s'est fait à Conakry, à Matoto centre, et le sacrifice de son décès et les bénédictions ont eu lieu au village.

Avez-vous eu un mot ou du soutien des autorités guinéennes ?

De façon officielle, non. Mais administrativement, dans les démarches, quand même, ils nous facilité la tâche. Documentation, qui nous devons solliciter — le ministère des Affaires étrangères, les tribunaux — pour la constitution de dossier légal... Même au niveau du consulat ici, ils nous ont assisté⋅es. Depuis que c'est arrivé, avec la mobilisation qui s'est faite en Italie autour de ça, pour l'instant on n'a pas eu besoin de leur implication directe mais ils sont informés du dossier.

Suite à la diffusion virale de la vidéo, la presse guinéenne a-t-elle parlé de l'agression de Moussa ?

Oui, à l'époque la presse en a parlé. Y avait des émissions de grande écoute là-bas, telles que sur la radio Espace FM, Les Grandes gueules de Lamine Guirassy, les avocats à l'époque allaient intervenir directement à la radio et c'était écouté sur l'ensemble du territoire national voire dans d'autres pays du monde.

Avez-vous vu les images de la vidéo ? Et que vous évoque la circulation de ce type d'images en ligne ?

... ça me fait de la peine... de voir ces images de mon jeune frère circuler sur les réseaux sociaux. Peut-être que si cette vidéo n'était pas sortie, on n'allait peut-être pas comprendre comment Moussa a trouvé mort, et ces agresseurs n'allaient pas être inquiétés. Il faut voir le "bon" côté de la chose, faut voir aussi que ça fait de la peine. Si on me demandait actuellement je dirais : "Non, non, non, mieux vaut que ces vidéos soient supprimées des réseaux sociaux, ça ne vaut pas la peine que ça circule", parce que chaque fois que tu les vois ça fait mal, ça donne envie de se rebeller, tout ça. Ça porte encore ses fruits puisque c'est à travers ça qu'on a identifié les agresseurs, et c'est à travers ça que ceux qui se sont levés aux premières heures ont fait ce qu'ils ont fait et sont jusqu'à présent en train d'assister la famille. C'est ce qui a déclenché cet engouement-là, parce que ça a révolté beaucoup de personnes.

Pour être clair : les voir ça, fait mal ; mais si ça peut servir pour une cause ça vaut la peine [qu'elles circulent]. À travers ça, ça éveille certaines personnes qui ne savent pas les réalités que certains migrants vivent ici, ça leur montre réellement dans quelles conditions les gens sont en train de vivre ici de façon très pénible. Et si à cause de ça, on parvient à apporter un changement de mentalité, je crois que ça vaut la peine de faire le sacrifice.

En novembre 2023 l'Italie a signé des accords avec l'Albanie pour déporter puis enfermer sur le sol albanais les personnes arrêtées à la frontière italienne (dans des centres de détention sous juridiction italienne) ; les demandes d'asiles de ces personnes doivent être traitées là-bas, pendant leur détention. Qu'est-ce que cela vous évoque ?

Je pense que c'est quelque chose qui n'est pas bon, qui n'est pas normal. D'abord même sur le territoire européen, italien, ces centres-là n'ont pas leur raison d'être. Ce sont des êtres humains, et la question du déplacement, de la migration de l'être humain date de la nuit des temps, et c'est comme ça. La meilleure des choses qu'ils peuvent faire, c'est de comprendre cela et de chercher à avoir une politique d'intégration qui permettrait à n'importe quel citoyen du monde entier, partout où il se retrouve se sente chez lui. On est au XXIe siècle, les frontières ne sont que des imaginations. Au lieu de gaspiller autant de moyens économiques, autant d'énergie à des actes discriminatoires, il vaut mieux réorienter cette énergie dans un sens positif. Le monde irait beaucoup mieux.

Pouvez-vous nous parler du soutien que vous avez reçu depuis la mort de Moussa ?

Depuis la mort Moussa, on ne s'est jamais senti·es isolé·es ; ça il faut le reconnaître. Pour n'importe qui, si tu perds un être cher c'est toujours là (il pointe son cœur de la main), mais le réconfort on l'a, que ce soit en Guinée, en Italie, en Europe. La famille ne sent pas seule dans ces différentes épreuves. Déjà on s'est remet à Dieu, on dit que : "C'est le destin", et quand tu vois la mobilisation et tu imagines, c'est vrai, il a été victime — on parle de suicide mais c'est une chose qui ne passe pas trop, dans notre esprit c'est un assassinat. L'agression c'est des italiens, même si ça n'a pas été retenu c'est un acte raciste, et le paradoxe c'est que quand tu vois cette mobilisation-là, ces personnes de bonne volonté, ça aussi ce sont des italien·nes. Les mauvaises intentions on ne veut pas coller à tout un peuple, une nation mais plutôt à des individu·es.

La famille se sent assistée depuis que tout cela a commencé, et on espère vraiment que la justice fera son travail. Qu'elle fera son travail pas uniquement parce que c'est Mamadou Moussa qui est décédé, parce que c'est la famille de Moussa ou parce qu'il y a des collectifs et des réseaux qui luttent contre ces pratiques injustes structurées par l'État, mais qu'elle fera son travail parce qu'elle n'aimerait pas, peut-être, qu'une autre famille soit victime de ce que nous sommes train de vivre, et que parce que la justice est pour tout le monde. C'est le rôle des juges de rétablir les personnes qui ont été lésées dans leurs droits, pour que des pratiques comme ça ne reviennent plus.

Comment peut-on vous soutenir aujourd'hui ?

Nous soutenir commence d'abord par dénoncer ce qui est en train de se faire en Europe, en Italie et d'une façon générale, diffuser les informations, informer les gens de ce qui s'est passé [pour Moussa], pour prévenir – mieux vaut prévenir que guérir — en soutenant les collectifs qui sont en train de se battre corps et âme et venir grossir leurs rangs pour que les pouvoirs publics les écoutent et les entendent. La seule façon de nous soutenir c'est de soutenir la cause. Y a pas mal de collectifs qui se battent mais leurs objectifs convergent. Pour toute personne qui écoute, [qui lit] cette interview, [nous soutenir] c'est consacrer le peu de temps qu'il ou elle a à cette lutte parce que nous luttons pour un monde juste équitable.

Nous remercions celles et ceux qui se mobilisent, qui nous soutiennent depuis le début jusque maintenant, un soutien qui s'est élargi jusqu'au niveau de la France ici. Je ne peux pas nommer tous les collectifs mais je sais qu'il y a une mobilisation ici aussi. Nous les remercions très fort, nous les encourageons, et nous leur demandons que leur lutte soit la nôtre aussi, nous le ferons ensemble. Et s'il plaît à Dieu, que ce soit ici ou ailleurs et je crois même vers l'Afrique subsaharienne — il faudrait qu'on essaie de lutter de ce côté-là aussi, parce que généralement si les gens étaient informés de certaines réalités qui les attendent ici, et se retrouvent dans des situations comme ça — je crois que ça peut contribuer à une amélioration. Et que les états qui sont là-bas, nos dirigeants qui sont là – je ne sais s'ils sont informés, peut-être qu'ils sont pas informés — mais il faudrait qu'un travail aussi se fasse de l'autre côté là-bas, il faudrait qu'il y ait une coordination internationale par rapport à cette lutte. C'est ce que nous avons à rajouter.

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Propos recueillis le 3 novembre 2025 par Cases Rebelles.
Merci infiniment à la famille de Moussa Balde. Force et Amour à elleux.
Nous remercions également Fatou Dieng, Quira et Lava pour la mise en relation.

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Quelques liens :

Pour soutenir la famille de Moussa Balde (voyage en Italie, frais de justice) : https://www.we-solidaire.com/fr/collecte/contro-i-c-p-r-giustizia-per-moussa-udienza-8-09-2025-1 (cagnotte en ligne + IBAN dispo).

Compte rendu de la 1ère audience du procès (septembre 2025), "La police et la GEPSA se renvoient la balle : première audience pour l’homicide involontaire de Balde."  (en italien + traduction en français) :
https://parolesulconfine.com/scaricabarile-tra-questura-e-gepsa-prima-udienza-per-omicidio-colposo-di-balde/
(à venir : le compte rendu de la deuxième audience)

L'appel de soutien à la famille lors du procès des agresseurs en 2022 (traduction de l'appel italien) : https://mars-infos.org/moussa-balde-et-sa-famille-ne-sont-6550

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- APPEL -

Manifestation en mémoire de Moussa Baldé et pour la justice ! Contre les frontières, les crimes racistes et les violences institutionnelles.

Rdv devant l’ambassade d’Italie pour exiger justice et vérité ! Vendredi 14 novembre à 16h place de la république, pour un départ commun vers l’ambassade.

Moussa Baldé est décédé dans la nuit du 22 au 23 mai 2021 dans une cellule de l'aile d'isolement, appelée Ospedaletto, du centre de rétention de Turin, en Italie. Le 9 mai, il avait été lynché à Vintimille par trois jeunes fachos Italiens et, après avoir été hospitalisé, il avait été renvoyé au centre de retention, sans que l'on tienne compte de son état physique et psychologique grave. Il a été retrouvé mort le 23 mai 2021 dans cette cellule d’isolement. Moussa, originaire de Guinée, a été détenu en tant que personne non européenne et en situation irrégulière sur le territoire italien, et c'est pour cette raison qu'il est mort enfermé dans une cellule d’isolement. La mort de Moussa n'est ni un « accident » ni le résultat d'une série de manquements, mais la conséquence du racisme structurel du système dans lequel nous vivons.

Depuis 2021, la famille de Moussa, depuis la Guinée, n’a cessé d’exiger justice et vérité ! Comment Moussa a t il pu être lynché en plein milieu d’après-midi, en centre ville et qui plus est a proximité du commissariat et de la Mairie, sans que personne ne réagisse ? Pourquoi Moussa a t il été enfermé en CRA alors qu’il avait besoin de soins? Pourquoi a t il été placé en isolement alors qu’il présentait des signes évidents de vulnérabilité ?

Un mort de plus c’est un mort de trop !

En février 2025, s’est ouvert un procès historique au Palais de justice de Turin, porté par la famille, contre l’ancienne directrice du CRA de Turin et l’ancien médecin chef.

Plusieurs audiences ont d’ores et déjà eu lieu en février et en septembre 2025 mettant en évidence les incohérences des versions présentées par les institutions. La prochaine audience aura lieu le 26 novembre au Palais de justice de Turin.

Cette manifestation sera l’occasion de montrer notre solidarité depuis la France au combat mené par la famille de Moussa Baldé et en soutien de toutes celles et ceux qui luttent contre les frontières et les crimes racistes.

Justice et vérité pour Moussa Baldé !

Rdv le vendredi 14 novembre 2025 à 16h place de la République, à Paris.

  1. centro di permanenza per il rimpatrio, traduit par "centre de permanence pour le rapatriement"[]